V. L'avenir de l'Archéologie et de la Paléontologie

B. Archéo-génétique

L'archéo-génétique, c'est-à-dire, l'étude de l'ADN préservé dans les restes biologiques, est une science archéologique relativement jeune qui permet une interprétation plus poussée des matériaux archéologiques. L'archéo-génétique est un terme inventé par l'archéologue et paléo-linguiste britannique Colin Renfrew.

 

Il désigne l'application de techniques moléculaires de génétique (ADN) à l'étude du passé humain. Il englobe également les méthodes de la génétique des populations.

 

La génétique des populations est l’étude de l’organisation et des changements de la fréquence des allèles (un allèle est une version variable d'un même gène) dans les populations d'êtres vivants. Ces allèles peuvent en effet varier sous l'influence de «pressions évolutives» telles que la sélection naturelle, la dérive génétique, les mutations et migrations.

 

Ayant pour but d'étudier le passé humain et l'héritage génétique de l'interaction humaine avec la biosphère, l’archéo-génétique implique : l'analyse de l'ADN ancien récupéré à partir de restes archéologiques, l'analyse de l'ADN des populations modernes (aussi bien les humains que les espèces domestiques et animales) et l'application de méthodes statistiques développées aux données archéologiques.

 

L'archéo-génétique a commencé par l'étude des groupes sanguins humains et la réalisation que ce marqueur génétique classique fournit des informations sur les relations entre groupes linguistiques et ethniques.

 

À partir des années 1960, Luca Cavalli-Sforza, chercheur italien, a utilisé des marqueurs génétiques classiques pour examiner la population préhistorique d'Europe. Son travail a abouti à la publication de The History and Geography of Human Genes en 1994.

 

Depuis lors, l'histoire génétique de l'ensemble de nos principales plantes domestiques, tel le blé, le riz et le maïs, et des animaux, tels les bovins, les chèvres, les porcs et les chevaux, a été analysée.

 

D’autres marqueurs sont actuellement analysés pour compléter le récit génétique, comme le chromosome Y pour décrire l'histoire de la lignée masculine.

 

La caractérisation génétique des restes biologiques contribue donc de manière importante à l'élucidation de migrations d'humains et d'animaux, à l’explication de la domestication de plantes et d'animaux, et à la caractérisation de la structure des sociétés préhistoriques, au travers de la détermination de relations de parenté, de la détermination du sexe, ou encore de l'identification de certains agents pathogènes et donc de certaines maladies.

 

A titre d’exemple, nous allons montrer comment la caractérisation génétique des restes de Brana 1 et 2 nous renseigne sur l’Histoire des chasseurs-cueilleurs du Mésolithique.

 

La première reconstitution du génome d’un chasseur cueilleur européen :

 

Les restes de deux hommes appelés Braña 1 et Braña 2 furent découverts dans une grotte sur le site de La Braña-Arintero à Valdelugueros (Nord-Ouest de l’Espagne) en 2006.

 

Ils étaient des chasseurs-cueilleurs ayant vécu il y a près de 7000 ans, à l’époque du Mésolithique. La grotte se situe dans une région montagneuse froide aux températures stables, à 1500 mètres sous le niveau de la mer. Ces facteurs climatiques expliquent l’état de conservation exceptionnel de l’ADN des deux individus trouvés.

 

L’âge des Braña et l’état de préservation de leur ADN étaient tellement exceptionnels qu’une équipe internationale d’une vingtaine de chercheurs a été réuni autour de Carles Lalueza-Fox (chercheur de l’Institut de biologie évolutive de Barcelone) pour une analyse de ces restes. Les travaux de l’équipe ont été publiés dans la revue Nature du mois de janvier 2014.

 

 

Grâce à une dent bien conservée, les chercheurs ont pu reconstituer la séquence ADN quasi complète de Braña 1. Le crâne a permis la reconstitution de son portrait robot, que l’équipe a même pu colorer, car les gènes indiquent qu’il avait les yeux bleus, la peau et les cheveux foncés. Voici donc à quoi ressemblait cet homme du mésolithique, âgé de 35 ans tout au plus au moment de sa mort :

 

 

 

 

L’évolution du patrimoine génétique des chasseurs-cueilleurs :

 

Le Mésolithique est une période comprise entre 10,000 et 5,000 ans avant J.C (entre le Paléolithique et le Néolithique), qui a pris fin avec l’arrivée au Moyen-Orient de l’agriculture et de l’élevage. A cette époque, les hommes subsistaient grâce à la chasse et la cueillette.

 

L’arrivée du Néolithique se caractérise par la modification du régime alimentaire – introduction de l’amidon (pommes de terres, céréales) et du lactose – et par l’exposition à des pathogènes transmis par les animaux domestiques. Les populations post-mésolithiques se sont ainsi adaptées à ces défis métaboliques et immunitaires, privilégiant les individus pouvant boire du lait et digérer l’amidon. L’examen génétique de Braña 1 a confirmé qu’il ne tolérait pas le lactose et qu’il digérait mal l’amidon.

 

Selon Lalueza-Fox «cet individu possédait des versions africaines des gènes déterminant la couleur claire de la peau chez les européens. Cela indique que Braña 1 avait eu la peau foncée, même si on ne peut pas en connaitre la nuance exacte.»

 

Un chercheur de l’Institute of Evolutionary Biology de Barcelone ajoute : «le plus surprenant encore était de découvrir que Braña 1 avait les gènes lui donnant des yeux bleus présent chez les actuels européens, donc, il présente un phénotype unique dans un génome qui est clairement celui de l’Europe du nord…. ». En fait on ne connaissait pas cette combinaison d’une peau sombre et des yeux bleus, et jusqu’à présent, il était admis que les hommes préhistoriques avaient déjà la peau claire.

 

Cette étude montre donc que le changement s’est produit bien plus tard, au moment du Néolithique, probablement suite à la modification du mode de vie des chasseurs-cueilleurs. Les chercheurs ont également constaté que Braña présentait déjà des caractères génétiques qui lui permettaient de résister à certains pathogènes et maladies – caractères encore présents chez les Européens modernes.

 

Squelette d'un enfant vieux de 24000 ans 

«L’équipe a maintenant pour objectif l’exploration des gènes de Braña 2, qui était moins bien préservé que le premier, pour continuer d’obtenir des informations sur les caractéristiques génétiques de ces premiers européens» a déclaré Iñigo Olalde auteur principal de l’étude. Carles Lalueza-Fox confirme «nous y travaillons très fort. Mais nous n’avons pas pu trouver pour le moment, un échantillon exploitable sur ce fossile. Nous pensons que ce deuxième squelette a été plus exposé à l’eau, ce qui a davantage dégradé son ADN.» Les progrès techniques permettent d’étudier les échantillons très anciens des hommes préhistoriques. L’archéo-génétique va permettre d’aller encore plus loin dans notre compréhension de notre passé.

 

 

Source: les travaux ont été publiés le 26 janvier 2014 en langue anglaise dans la revue Nature